jeudi 14 novembre 2013

Evitement,déplacement, apaisement, soumission, dominance... ?


On entend parler des comportements d' apaisement, d’évitement, de déplacement... mais aussi  de dominance et de soumission... Reconnaître et interpréter correctement les comportements de nos compagnons, pourrait améliorer la relation que nous entretenons avec eux  mais plus encore il serait possible de prévenir certains accidents... Et si on essayait de faire le point ?

Avant de développer ce sujet j'aimerais mettre en avant un article qui m'a profondément choquée .Il y a eu une étude faite par Ödberg et Bouissou (1999) qui indiquait que plus de 3000 chevaux (chevaux de courses non compris) ou 66,4% ont été envoyés à l'abattoir en raison de problèmes de comportement entre les âges de 2 et 7 ans . Effarant n'est ce pas ? 

Concentrons-nous dans un premier temps sur le cheval :
Les chevaux sont des animaux extrêmement sociables qui vivent en groupes. La vie de groupe présente de nombreux avantages (plus d'individus pour surveiller les prédateurs, le partage des connaissances, le partage des responsabilités, plus de choix  pour l'accouplement ....) et surtout elle apporte la sécurité.

Les chevaux communiquent entre eux de façon subtile , mais en tant qu'êtres humains nous percevons seulement les signaux les plus évidents, c'est pourquoi beaucoup de gens pensent que les chevaux communiquent la plupart du temps d'une manière agressive . Cependant, pour qu'un groupe fonctionne correctement , la cohésion doit être forte , et comment peut-on parvenir à cette cohésion si certains membres du groupe passent la plupart de leur temps à se battre ou à se menacer les uns les autres ? Outre le risque de blessure et la perte d'énergie , un cheval blessé ou épuisé , verra ses chances de survie diminuer. Goodwin (2002) a déclaré: « Dans la nature, l'appartenance à un groupe est une  stratégie de survie si importante que le comportement social du cheval sert  à minimiser les conflits au sein du groupe et ainsi favorise sa stabilité. .." «  Dans la nature, les  relations   instables de dominance, sont généralement seulement trouvées chez les jeunes chevaux , et  on pourrait dire que la société équine qui vit en liberté fonctionne sur la parenté , la reconnaissance et le respect de l'espace de l'autre. » D'ailleurs Fraser (1992) déclare que l'évitement est un meilleur moyen de mesure de l'agression..

Selon les études récentes de Cozzi et al (2010) et Sigurjónsdóttir et al (2012)  les chevaux ont fortement développé des compétences dans la gestion des conflits par la conciliation et l'apaisement de la même manière que ça a été décrit pour les chiens , les oiseaux et les singes ... Un troisième membre intervient après une querelle montrant des comportements «de consolation» à la victime, ou des comportements afin d' "apaiser" l'agresseur. Ces comportements font partie de l'interaction affiliative, ils doivent se produire dans les 10 prochaines minutes après le conflit. Ils comprennent: le toilettage mutuel (grooming) , investigations olfactives, le jeu (qu'il soit ou non réciproque) contact amical (contact corporel non rendu par le receveur) approche (sans établir un contact)...

Waring (2003) mentionne que les chevaux sont principalement des communicateurs visuels , et qu'ils sont extrêmement sensibles aux changements subtils dans le langage du corps de leurs compagnons. Par contre, ce n'est pas vraiment inné pour eux de lire nos indices subtils , ils auront besoin de temps pour cela , ils nous observeront  à chaque instant et avec le temps, ils seront capables de lire nos indices très subtils ( Proops 2013) ( vous pouvez également lire l'histoire de Clever Hans) ... La plupart du temps , avant de devoir fuir ou se protéger ou quand ils font face à l'inconfort, les animaux peuvent montrer par exemple des comportements d'apaisement , d'évitement ou  de déplacement. Voici une définition du comportement d'apaisement d'après McFarland ( 2006) «  comportements qui servent à inhiber ou réduire l'agressivité entre les membres de la même espèce , dans une situation où l'évasion est impossible ou désavantageuse. Cela implique souvent que les  « armes » soient cachées ou détournées » Hand (1986) dit « que l'apaisement a pour fonction de soit  stopper l'agression ou de faciliter la conciliation et que  l'apaisement  n''indique pas nécessairement  la soumission ou la subordination » . Mills ( 2010) nous donne une définition plus détaillée avec une partie très intéressante , la voici : " ... il est maintenant reconnu que certaines espèces semblent afficher un large éventail de comportements qui ont tendance à avoir un effet général plus « apaisant » dans une plus grande variété de contextes, et que ces comportements ne sont pas nécessairement délivrés par l'individu en général subordonné. Certains auteurs préfèrent le terme apaisement à la soumission  , car il peut se référer non seulement à un plus large éventail de comportements , mais aussi parce que ce dernier peut  impliquer que l'animal a conscience de, ou est motivée par le statut social , à l' opposition de l'évitement d' un conflit qui peut être déterminé objectivement sans inférence  des capacités  ou de  l'état  cognitif  des individus concernés "
Le grooming pourrait avoir fonction d'apaisement mais tout dépend du contexte...

Comme nous sommes dans les définitions , voici les comportements d'évitement.  Mills (2010)  nous éclaire un peu plus sur le sujet « le comportement d'évitement peut être décrit comme une séquence d'actions impliquant de s'éloigner de,  ou l'absence d'approche  d'un stimulus perçu comme une menace .. » Il aide à maintenir ou augmenter la distance.. « L'évitement peut être appris , l'animal apprend à craindre certains stimuli parce qu'il les a associés à un résultat aversif . Ou il peut être inconditionné( instinctif ) dans ce cas il  est « libéré » par exemple par  un « déclencheur » « D'un point de vue du développement, il est impossible d'exclure une forme d'apprentissage, puisque depuis sa création, l'organisme est constamment stimulé par l'environnement et peut donc réagir à des niveaux aussi fondamentaux que le génome. En revanche, le comportement appris est plus malléable et peut changer en réponse aux pressions environnementales »

Exemple d'évitement apprit : le cheval qui a peur de main quand on essaye de lui toucher la tête.

Parlons maintenant des comportements de déplacement, ce sont des comportements normaux effectués dans un contexte inapproprié. Ils sont le signe d'un conflit de motivation, frustration ... (Mills 2010). Exemple prit par Mc Greevy (2004) et Karen Pryor(2002), un cheval que nous empêchons de se déplacer peut soudainement se groomer et dans les cas extrêmes, quand le cheval est confiné il peut aller jusqu'à l'auto-mutilation ... Pour nous, ça pourrait être ronger les ongles, certains vont même à se les ronger jusqu'au sang ... Ce sont les signes extérieurs de stress, de frustration ou d'un malaise. Cependant, il est nécessaire de prendre en compte le contexte, un cheval peut se groomer si ça le gratte...
Exemples de comportements de déplacement: Bailler à plusieurs reprises, le cheval qui va se gratter les flancs à plusieurs reprises à l'attache ou l'entrainement, s'ébrouer (cheval qui expire bruyamment, en particulier les étalons lors d'un exercice ou quand ils sont restreints)... même jouer avec un objet dans certaines circonstances peut être un comportement de déplacement... encore une fois il faut prendre en compte le contexte, la fréquence....

Et que dire des comportements de soumission . Mais d'abord nous allons parler de ce qu'est la dominance. Voici la définition selon Bernstein (1981) et Drews (1993). : La dominance est définie comme une relation entre des animaux de façon individuelle qui est établie par la force / agression (menaces) et la soumission, afin de déterminer qui a un accès prioritaire aux multiples ressources comme la nourriture, lieux de repos préféré, et l'accouplement. Houpt et al (1978) ont déclaré que la dominance est unidirectionnelle, mais peut ne pas être linéaire à travers le groupe, de sorte que A peut dominer B qui peut dominer C, mais C peut dominer ​​A. L'ordre est beaucoup plus complexe que ce que nous pourrions le penser ... En d'autres termes , les comportements de dominance et de soumission sont liés aux ressources. Le cheval dominant est celui qui a le plus de potentiel pour s'approprier les ressources . Revenons à la soumission, il y a peu de comportements de soumission, ils l'expriment en s'éloignant de la ressource souhaitée . Waring (1983) a déclaré: " il s'éloigne de la ressource désirée avec éventuellement les oreilles tournées à moitié vers arrière" Mais encore une fois cela concerne les chevaux et les ressources, nous humains nous ne sommes pas concernés ....

Dans leur milieu naturel les chevaux sont rarement forcés à faire quelque chose, s'ils se sentent menacés , ils peuvent fuir , si ils montrent un comportement d'apaisement leurs pairs le remarqueront ... Mais les chevaux domestiques soumis à l'entrainement ne sont pas toujours entendus, leurs signaux peuvent être mal interprétés ou nous ne savons pas où regarder . Un cheval qui a peur d'un objet peut montrer un comportement de déplacement , un comportement de freezing ( tension orthostatique, où l'animal reste immobile ) , ou encore un comportement d'évitement par exemple un cheval qui ne veut pas être touché peut tourner la tête , mais ne pas bouger le reste de son corps ... Ces signaux sont souvent ignorés et obligent  le cheval à montrer  des comportements qui sont plus évidents et plus dangereux pour nous ( cheval  qui peut nous attaquer, exploser , paniquer et s'enfuir ... ) Un cheval qui se sent menacé utilise ses postérieurs pour se   défendre , il ne faut pas voir ici  un acte de dominance ou d'irrespect..(la dominance comme nous l'avons vu plus haut, est liée aux ressources et affecte uniquement les chevaux entre eux). Si vous punissez ou chassez  un tel cheval , vous allez renforcer sa peur, il peut alors répondre soit par un comportement d'évitement ( comportement normal pour un animal de proie pour éviter l'agression ) ou si il n'a pas eu la possibilité de fuir ou si vous ne considérez pas ses tentatives de communication , il pourrait y avoir une escalade dans l'agression .

Ces différents comportements peuvent se produire en une fraction de seconde, ou inversement peuvent être exprimés plus pleinement .  Un simple changement dans la position de l'oreille peut modifier le sens d'une interaction .Si nous regardons de plus près notre cheval et que nous identifions mieux ces signaux, certains accidents pourraient être évités et des vies pourraient être sauvées. Le cheval qui montre ces comportements essaye de communiquer avec nous, il indique que la situation peut être inconfortable , ou qu'il a peur ou qu'il se sent frustré. Il est alors nécessaire d'intervenir en revoyant nos méthodes d'entrainement , il faut prendre le temps et examiner ce qui pourrait être la cause de ces comportements et  se demander comment pourrais-je changer les choses, et ainsi modifier sa motivation, ses émotions sans avoir la peur , la frustration.... Si vous ne  pouvez  éviter une telle situation (douleur , soins ..) vous pouvez essayer d'offrir un maximum de confort dans cette situation, éviter le stress inutile, lui apporter un soutien par exemple grâce à la présence d' un autre cheval calme ... L'environnement doit être également pris en compte , par exemple, si un cheval  doit garder le box  , pensez à enrichir son environnement ... .

Car ne l'oublions pas un cheval qui ne peut pas satisfaire ses besoins, qu 'ils soient sociaux, alimentaires, ou de mouvements peut aussi bien souffrir des problèmes physiques que de problèmes psychologiques. Ces chevaux peuvent alors s'éteindre, et/ou présenter des comportements indésirables dus à cette frustration de pas pouvoir atteindre ses objectifs.

Goodwin (1999 ) a conclu  un de ses articles en disant: « Les gens restreignent la liberté  des chevaux et leur capacité à maintenir des relations sociales  ; nous attendons d'eux  qu'ils permettent notre présence dans des zones qui les rendent vulnérables aux attaques , nous les faisons sauter par-dessus des objets facilement évitables et consacrer de l'énergie à faire des cercles.Les chevaux qui ne peuvent pas s'adapter aux conditions que nous imposons sont détruits .. "

Répondons à leurs besoins, observons leurs comportements, et dialoguons.

Et j'en profite pour ajouter une petite phrase que j'aime beaucoup :
" Le bien-être n'est pas simplement l' absence d'expériences négatives , mais est avant tout la présence d'expériences positives comme le plaisir . " (Boissy - 2007)

Ppdt-Comportementaliste Equin.

Réfs:
Bernstein, I.S. 1981. Dominance: The baby and the bathwater. J Behav Brain Sci 4:419-57.

Boissy, A.et al. (2007). Assessment of positive emotions in animals to improve their welfare.Physiology & Behavior, 92, 375–397.

Cozzi et al (2010) . Post-conflict friendly reunion in a permanent group of horses (Equus caballus).BehaviouralProcesses 85(2):185–190

Drews, C. 1993. The concept and definition of dominance behavior. Behaviour 125: 284-313

Fraser, A.F. (1992) The Behaviour of the Horse. C.A.B. International, Wallingford, UK.

Goodwin, D., 1999. The importance of ethology in understanding the behaviour of the horse. Equine Vet. J. Suppl. 28, 15-19

Goodwin, D. (2002) Horse behaviour: evolution, domestication and feralisation. In Waran, N. (ed.) 
The Welfare of Horses. Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, The Netherlands, pp 1-18. 

Hand J.L (1986) Resolution of social conflicts : dominance, egalitarianism,spheres of dominance, and game theory. Quarterly Review of Biology 61 : 201-220

Houpt, K.A.et al (1978) Dominance hierarchies in domestic horses. AppliedAnimal Ethology 4, 273–283.

McFarland.D (2006) A dictionnary of Animal behaviour Oxford University Press NY

McGreevy, P.D. 2004. Equine Behaviour: A Guide for Veterinarians and Equine Scientists. W.B. Saunders, Edinburgh, UK 

Mills D (2010) The Encyclopedia of Applied Animal Behaviour and Welfare Wallingford CAB international

Ödberg FO, Bouissou MF (1999) The development of equestrianism from the baroque period to the present day and its consequences for the welfare of horses. Eq Vet J 28: 26–30. . 
Proops L, Rayner J, Taylor AM, McComb K (2013) The Responses of Young Domestic Horses to Human-Given Cues. PLoS ONE 8(6): e67000. 

Pryor .K (2002) Don't shoot the dog : The New Art of Teaching and Training
3rd Revised edition  Ringpress Books Ltd 

Sigurjonsdottir et al (2012) The Behaviour of Stallions in a Semiferal Herd in Iceland: Time Budgets, Home Ranges, and Interactions International Journal of Zoology , Article ID 162982, 7 pages

Waring  G.H (2003) Horse Behaviour 2nd Edition. Noyes publication/William Andrew publishing, Norwitch NY

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